Michèle Pearson Clarke

The Animal Seems to Be Moving
27.10–26.11.2022
Salle 1

In The Silence of An Untimely Glitter Stache
Inscrite à l’échelle globale de la modernité occidentale,
la noireté symbolise l’absence d’histoire.
Inscrite à l’échelle moindre de l’incarnation individualisée,
la noireté symbolise l’absence d’âge¹.

Dans son œuvre The Animal Seems To Be Moving (de 2018 à 2023), Michèle Pearson Clarke recourt à l’autoportrait pour dévoiler le lourd processus de vieillissement qu’elle traverse à titre de personne noire, en deuil de son enfance garçonne queer ². « Ayant longtemps été perçue comme plus jeune que mon âge, je considère, par l’entremise de mon travail, que l’on m’identifiait autrefois en tant que jeune garçon noir. Aujourd’hui, mon physique est associé à celui d’un homme noir d’âge moyen ³», indique-t-elle. À l’instar de Tina Campt, la pratique de Clarke explore la notion d’écoute des images qui « […] se résume à une approche consistant à regarder au-delà de ce que nous voyons et à ajuster nos sens selon les autres fréquences affectives au travers desquelles les photographies s’enregistrent. […] [Cela] fait appel aux cadres conceptuels du calme, de la stase et du refus de revendiquer le quotidien noir comme un idiome caractéristique de la culture diasporique et d’un futurisme noir. » ⁴  Les vidéos de Clarke incluent souvent une répétition temporelle en rembobinant et en reproduisant des gestes, des regards et des sons pour ponctuer et pour souligner, tandis que sa photographie présente une répétition statique avec des scènes séquentielles, invitant les spectateurs à regarder de nouveau. En 2020, elle crée Glitter Stache, une composition qui combine vidéo et photographie et qui révèle une répétition sur chacun des supports utilisés, marquant ainsi un changement de tactique et ajoutant une composante de durée à la notion d’appel à l’écoute de Campt.

Qu’est-ce qui remonte à la surface si nous répondons à cet appel, en nous penchant pour écouter plus attentivement? En ce qui a trait au vieillissement des Noirs, Habiba Ibrahim précise que « Fanon théorise la déshumanisation noire comme étant constituée de peurs et de fantasmes blancs qui piègent les sujets noirs dans des personnages aliénants au sein du monde social » ⁵. Cela entraîne une « zone de non-être », telle que désignée par Fanon, dans laquelle les individus noirs n’ont accès ni à l’enfance ni à l’âge adulte dans un système suprémaciste blanc ⁶. Autrement dit, les enfants noirs sont considérés comme des adultes et les adultes noirs sont considérés comme perpétuellement jeunes – après tout, les Noirs ne vieillissent pas, comme l’expression le veut. Ainsi, les Noirs existent hors du temps ⁷. Cette intempestivité, comme le dit Ibrahim, laisse les Noirs exposés à ces mêmes peurs et fantasmes blancs identifiés par Fanon. Pour sa part, Clarke occupe cette zone chaque fois qu’elle rencontre le regard blanc ⁸. Dans Glitter Stache, l’artiste silencieuse se tient relativement centrée dans le cadre, fixant attentivement la caméra, une moustache de paillettes argentées peinte sur sa lèvre supérieure. Derrière elle, au loin, des oiseaux tournoient autour d’une grande étendue de ciel gris lavande. De temps en temps, la vidéo passe à un nouveau plan, dans lequel elle se tient debout dans la même posture, le regard aussi intense, la moustache toujours scintillante, les oiseaux poursuivant leur danse. Elle semble suspendue dans le temps et dans l’espace. Les téléspectateurs doivent se débattre avec ce qu’ils projettent sur elle en tant que personne noire intempestive dans l’espace.

En écoutant encore plus attentivement, l’humour de Clarke émerge. Elle aborde les dichotomies ancrées dans l’âge et le vieillissement noir, explorant sa propre intempestivité alors que sa jeunesse garçonne queer s’efface. Elle utilise la raison noire pour mettre en évidence les lacunes sous-jacentes à la peur blanche ⁹. Selon Achille Mbembe, cette raison noire, ou la « raison de la déraison », découle des réponses noires à l’irrationalité totale de la peur blanche. En termes simples, la raison noire implique de combattre le feu par le feu, ou plutôt de combattre l’absurdité par l’absurdité, dans le cas de Clarke. Avec sa moustache scintillant dans la lumière du soleil de couleur pêche qui s’estompe, presque comme si elle faisait un clin d’œil au spectateur, l’artiste imprègne la pièce d’une effronterie, figurant en toile de fond. Glitter Stache enferme l’auditoire dans un concours de regards qui pourrait facilement se transformer en une crise de rire si l’un ou l’autre des participants perdait son sang-froid et reconnaissait le ridicule de l’acte – et par extension, la peur blanche. The Animal Seems To Be Moving se situe à la limite de la confrontation et de la concorde, utilisant l’humour, l’inertie et le silence pour appeler le spectateur à écouter de plus près.

- Joana Joachim (traduction par Marie-France Thibault)

1 Ibrahim, Habiba. Black Age: Oceanic Lifespans and the Time of Black Life. New York: New York University Press, 2021, p. 31 (traduction libre).
2 Pearson Clarke, Michèle. The Animal Seems to Be Moving. Consulté le 15 septembre 2022. https://michelepearsonclarke.com/the-animal/.
3 Idem (traduction libre).
4 Campt, Tina. Listening to Images. Durham: Duke University Press, 2017, p. 9 (traduction libre).
5 Ibrahim 2021, p. 15. Voir également Frantz Fanon, Black Skin, White Masks (New York: Grove Press, 1967) (traduction libre).
6 Ibrahim 2021, p. 15.
7 Idem, p. 5.
8 Pearson Clarke, Michèle. A Dark Horse in Low Light: Michèle Pearson Clarke in Conversation with Yaniya Lee. Consulté le 20 septembre 2022. https://michelepearsonclarke.com/welcome-weight/.
9 Ibrahim 2021, p. 29. Pour en savoir advantage sur la raison noire, veuillez consulter : Conversation: Achille Mbembe and David Theo Goldberg on Critique of Black Reason, Theory, Culture, & Society, www.theoryculturesociety.org, et Mbembe, Achille. Critique of Black Reason. Traduit par Laurent Dubois. John Hope Franklin Center Book. Durham: Duke University Press, 2017.