Marie-France Brière
Champ de contraintes
06.09–12.10.2024
Salle 1
06.09–12.10.2024
Salle 1
Vernissage
Vendredi 6 septembre, 17h
Artiste
Marie-France Brière
Dans les années 1980, Marie-France Brière se rend à Pietrasanta en Italie, ville médiévale de Toscane, considérée comme la capitale du traitement artistique de plusieurs matières. Siècle après siècle, l’activité principale de Pietrasanta consiste en l’exploration artistique de l’alliage du bronze et le façonnage du marbre. Le minerais est extrait à proximité, directement des carrières de Carrare étant en surexploitation depuis l’époque romaine. Pendant son séjour italien, l’artiste perfectionne ses savoir-faire techniques de traitements laborieux et méticuleux de la pierre. Elle apprend à lire et à écrire ce matériau à l’usage millénaire.
Brière revient à Montréal avec des blocs de marbre carien pour poursuivre sa trajectoire : remodeler l’espace-temps de la pierre parmi ses strates et ses interstices. Encore à ce jour, en ciselant les couches de sens de cette matière à la formation irréversible, la statuaire éprouve les possibilités de transformation — à la fois de révélation et de disparition — de celle-ci. Le marbre est un amas de pression (im)prévisible, pour le moins difficile à interpréter.
Le titre de la présente exposition, Champ de contraintes, correspond au terme polysémique introduit par Augustin Louis, baron Cauchy en 1822 : « tenseur des contraintes ». Celui-ci caractérise la distribution des contraintes à l’intérieur d’un matériau ou d’une structure. Dans le cadre de la géologie structurale et de la tectonique, il est question des paléo-contraintes, représentant la partie anisotrope du tenseur des contraintes, responsable des déformations comme les plis, les failles ou les schistosités. Dans ses volumes, Brière porte une attention particulière à la répartition du point de force qu’elle exerce sur les surfaces afin de les sculpter.
À travers son plus récent corpus, l’artiste a été ostensiblement guidée par un texte de la philosophe féministe Catherine Malabou, La plasticité au soir de l’écriture, paru en 2005. Dans son atelier, Marie-France Brière expérimente — ou interprète — le marbre comme les pages blanches d’un palimpseste à la plasticité insoupçonnée. Pour Malabou, la plasticité est une qualité malléable qui permet une transformation continue, influençant la manière dont nous réagissons et nous adaptons aux évolutions. C’est dans ce sens que nous devons ici comprendre la plasticité, comme une sorte de lecture-écriture : la propension de la matière à se modeler, à changer de configuration sous l’effet d’une quelconque force — intrinsèque ou extrinsèque à celle-ci. En d’autres mots, la sculptrice matérialise l’intervention invisible de sa lecture de la pierre pour ensuite y écrire des formes en devenir. Elle s’engage à même la mouvance possible de la substance sémantique.
Dans l’exposition, les monolithes de marbre sont présentés à la verticale comme à l’horizontale. Ils sont soutenus au moyen de pièces filiformes d’aluminium — dont certaines sont nappées d’étoffes de feutre. La mise en espace, sorte de trajet balisé de diverses structures monumentales, alterne circulation et contemplation. Les surfaces des parallélépipèdes sont ainsi observables dans leur quasi-intégralité. Des frictions et des tensions sont ressenties parmi les textures tavelées. Les reliefs de gestuelles, élevés en saillie ou creusés en sillon, suggèrent l’érosion des mines d’extraction. La disproportion entre les gestes de prélèvement des matériaux et l’évocation de leur proximité relative avec leur lieu d’origine — malgré leur distance réelle — se ressent dans chacune des œuvres. Un volume doré en laiton poli prend place parmi cet ensemble. La proposition réverbérante se reflète ici et là dans la salle, telle une aura.
Avec Champ de contraintes, nous relisons et traduisons les veinures du marbre. Le corpus de Marie-France Brière converge vers cette propension pour le langage vernaculaire ; une langue immémoriale et immuable.
— Jean-Michel Quirion