Tegan Moore
Condensations
23.05–22.06.2024
Salle 2
23.05–22.06.2024
Salle 2
En plein mois de juillet, alors que la température extérieure excède les normes de saison, les systèmes de climatisation fonctionnent à plein rendement. Dans les sous-sols des édifices, intégrés aux fenêtres de nos appartements et aux systèmes d’aération des maisons modernes, ils sont devenus des commodités ordinaires. Presque invisibles, ils régulent la température ambiante à l’intérieur, mais émettent à leur tour de la chaleur dans l’atmosphère.
Suspendue au plafond, l’installation fait écho à un faux plafond dont la structure interne aurait été mise à découvert. L’infrastructure, qui transforme l’architecture de l’espace en le divisant en deux horizontalement, nous domine avec une légèreté formelle : la frêle charpente, composée de lamelles d’érable, de chêne et de noyer est enveloppée par des treillis de fibres de verre qui à leur tour retiennent de minuscules billes de polystyrène, laissant doucement filtrer la lumière comme un nuage peut laisser passer de fins rayons de soleil. Au cœur de cette construction, un système de climatisation est en marche, et, impliquant une condensation inhérente à son fonctionnement, devient le moteur de l’installation. Alors que ce dernier devrait permettre à notre corps d’être confortable, son efficacité ici échoue. L’absorption et l’évacuation de la chaleur par l’appareil sont neutralisées par une circulation d’air à même l’espace, mais elles contribuent aussi à donner une perception haptique de l’œuvre.
Quelques sculptures au mur viennent compléter l’installation ; elles prennent la forme d’objets qui incarnent la condensation et portent les notions de saturation, de densité. Contaminent Lung intègre une perle de nacre, elle-même un contaminant, tandis que La Quotidienne et le frisson se déploie tel un poème concret composé à partir des lettres d’un rouleau de billets de loto trouvé au sol, et que Citadine Isolation renferme de l’isolant en polyuréthane provenant d’un nouveau condo du voisinage. L’installation est d’ailleurs presque entièrement constituée de matériel trouvé dans le quartier du Mile End, soigneusement examiné, traité et revalorisé par l’artiste. Tegan Moore récupère les résidus ultimes, immaculés, ceux qui persistent dans l’environnement. Elle traite ainsi ce que l’environnement n’arrive pas à digérer : retirant les parcelles synthétiques qui n’ont pas été altérées par le temps, elle redéfinit leurs paramètres en leur vouant de nouvelles vocations, et évite d’avoir recours à des méthodes classiques de consommation pour la production de ses œuvres.
Avec Condensations, l’atmosphère confinée de la salle d’exposition est divisée par gradation ; nous passons du froid au chaud, de la dispersion à la saturation, d’objets perméables à des objets contenus. Alors que les limites entre le corps et l’œuvre sont brouillées, Moore espère porter à notre attention la complexité des systèmes qui contribuent à notre confort contemporain.
— Manel Benchabane