Théo Bignon
Double entendre
23.05–22.06.2024
Salle 1

Artiste
Théo Bignon

Les pratiques sexuelles dans l’espace public transgressent les normes et les lois tout en procurant un sentiment de désir et de connexion aux personnes qui s’y adonnent. Selon une perspective historique queer, elles se sont avérées essentielles pour les personnes dont la sexualité, la vie et les relations amoureuses ont été contrôlées, rejetées ou effacées. Le cruising et les autres formes de sexualité publique ou semi-publique forment un acte dissident collectif qui rappelle aux personnes qui les pratiquent qu’elles ne sont pas seules. Ces moments de désir permettent d’actualiser des conduites queer dans des lieux loin des regards.

Les œuvres de Théo Bignon traitent de la complexité de la représentation visuelle de ces endroits et de ces moments. Les espaces publics de prédilection pour ces pratiques et rencontres fortuites s’articulent autour du regard, du fait d’être vu·e et de voir en retour. Le parc, le terrain vague et le pissoir deviennent des coins de séduction lorsqu’ils offrent une certaine dissimulation. La boîte de nuit, souvent peinte en noir, permet aux personnes qui s’y trouvent de s’effacer dans un éclairage tamisé — dynamique bien connue des personnes s’étant déjà retrouvées à la fermeture d’un bar à l’heure où les lumières s’allument. Cela explique pourquoi ces espaces sont si difficiles à représenter visuellement — ils réfutent le regard. Toutefois, Bignon reconstruit ceux-ci d’après ses souvenirs, comme des interstices qui prennent forme par des coups d’œil dérobés, des gestes dissimulés et des regards soutenus. En édifiant des images à partir de réminiscences de sa présence dans ces lieux avec d’autres, l’artiste revisite ces espace-temps de rencontres érotiques en une matérialisation du travail amoureux. Par les techniques lentes de la broderie, méticuleuses et chargées d’histoire, chaque ligne de chaque forme réalisée fil par fil est difficilement achevée.

Le corpus de Bignon est traversé d’un paradoxe : la transposition de ces moments furtifs par le biais de la lenteur de la broderie. Le temps consacré à cette pratique artisanale peut être interprété comme un acte d’affection et de soin qui honore cet instant où l’éventuel se concrétise, où le désir est assouvi. Les lieux représentés peuvent paraître simples — quatre murs noirs ou un buisson feuillu —, ils sont néanmoins une brèche ouverte vers des possibles. Bignon observe et participe à ces architectures dans lesquelles la moindre inflexion est une invitation à la rencontre. Dans cette installation, les refuges sont détournés de façon ludique pour démontrer comment la plus banale des cloisons peut devenir un lieu de rendez-vous. Ces repaires portent également les traces d’autres danses. À l’aide de fils et de paillettes, Bignon retrace les empreintes laissées par les ébats s’y étant déroulés. Les marques sur les murs et les cloisons sont les témoignages d’échanges passionnels en ces lieux. Bignon rappelle que la démonstration de ces possibilités se doit d’être préservée. À la fois délicates et résolues, ses œuvres protègent ces souvenirs, gardant les conditions fragiles dans lesquelles le désir trouve momentanément sa demeure.

David J. Getsy