Shannon Garden-Smith
Snail work, or give the colours what turns you please
12.04–11.05.2024
Salle 2

Vernissage
Vendredi 12 avril, 18h

Discussion
Vendredi 12 avril, 17h

Artiste
Shannon Garden-Smith

Lorsqu’elle demeure encore intacte, l’œuvre Snail work, or give the colours what turns you please (dans les cérémonies) de Shannon Garden-Smith se déploie sur le sol dans toute sa splendeur ; impeccable, envoûtante. De loin, l’installation peut être confondue avec un textile somptueusement coloré, ardent de rouge profond, de bleu azur, de vert émeraude et de jaune d’or. De près, Snail work révèle sa vraie nature : l’œuvre est en fait composée de sable, ces petits grains de roche broyée, usés par les océans, le temps, la lune. Le sable a été teint et soigneusement disposé de telle sorte qu’il imite parfaitement le motif de la page de garde marbrée d’un livre de la fin du dix-huitième/début du dix-neuvième siècle, trouvé à la bibliothèque des livres rares de McGill, en ce territoire que nous appelons Tiohtià:ke/Mooniyang/Montréal.

Gardées secrètes par les praticien·ne·s de cet art pendant des siècles, les techniques de marbrure sur papier sont issues d’un procédé analogique consistant à déposer et brosser des pigments sur la surface d’un bain d’eau épaissie. Évoquant les veinures que l’on retrouve sur les pierres, les motifs flottants sont transposés sur une feuille de papier qui effleure la surface de l’eau et absorbe les pigments colorés. Garden-Smith s’inspire ici, comme pour ses récents projets, des motifs finement orchestrés sur les pages de garde d’un grand nombre de livres de l’époque victorienne.

La richesse de l’ornementation du sol en sable marbré de Snail work offre une expérience de sensibilisation transformatrice, faisant prendre conscience du caractère sacré de certaines choses passant inaperçues ; en l’occurrence, ici, du sable. Parfois employé comme métaphore de l’incommensurable, le sable est en réalité une ressource précieuse et non renouvelable qui s’amenuise rapidement depuis que nous l’utilisons, de plus en plus, pour construire toutes nos infrastructures de béton et de verre.

Existe-t-il un processus aussi immuable et méticuleux que le battement répété d’une vague contre le rivage, menant à la formation du sable ? Tout comme le sable est la marque indicielle du travail de l’eau, Snail work est la transcription d’une chorégraphie incarnée que Garden-Smith performe avec la force remarquable de son énergie sur une très longue période. L’œuvre Snail work se révèle dès lors comme le mouvement que l’artiste ne peut s’empêcher de faire. Elle est la chose qui émerge, à force d’efforts inébranlables, de son rapport au monde.

Demandons-nous à l’océan s’il est fatigué ? Pouvons-­nous dire que le travail de l’eau est créatif ? Ces questions sembleront tout à fait appropriées après une rencontre avec l’œuvre de Garden-Smith. Manifestement, l’océan est plus infatigable et créatif que tout. Il contient une force d’autant plus grande que lui : la gravité, et nous rappelle l’échelle infinie qui se déploie au-dessus et en dessous, dans toutes les directions. La question que nous pourrions désormais poser à la gravité est la suivante : quelle est la source de son deuil ? À cela, elle répondrait, naturellement, toutes choses.

Garden-Smith tâche ainsi de montrer que nous sommes possiblement tout aussi créatif·ve·s et fatigué·e·s que l’océan, et tout aussi affligé·e·s par la lourdeur d’une force invisible. Nous déplacer au sein de Snail work nous sensibilise au labeur et aux crises socio-environnementales que nous pourrions être incité·e·s à ignorer. Alors que notre corps se meut dans l’installation, notre cœur tressaille et cesse de battre au moment de brouiller le motif parfait sous nos pieds. Après quoi nos nerfs, soudainement en alerte, sauront dorénavant ressentir toute l’ampleur de ce qui leur avait été jusqu’alors caché par la routine quotidienne de leur pulsation.

—Bronwyn Garden-Smith (traduction par Lisa Tronca)