Émilie Allard
Point d’ironie point d’orgue
26.10–25.11.2023
Salle 2

Vernissage
Jeudi 26 octobre, 18h

Discussion
Jeudi 9 novembre, 18h

Artiste
Émilie Allard

L’artiste Émilie Allard est attentive à l’inconnaissable ; par-delà les limites de langages textuels et formels communs. En transfigurant ce qui l’entoure, elle valorise des associations insoupçonnées de mots et de choses par le prisme du lien, de l’excès, de la dérision, de la référence et de l’inconcevable. Cette attention portée à l’inconnu l’incite à composer des proses poétiques sur des sujets sibyllins et à élaborer des assemblages d’objets trouvés pour ensuite les détourner et les façonner en des sculptures-écritures d’une singularité incomparable. Certaines des propositions modelées par l’artiste sont la manifestation de réflexes d’anticipation ; d’autres, en majorité, sont ostensiblement improvisées selon ce qu’elle parvient à découvrir à travers ses recherches. Pour Allard, créer, c’est créer le possible et parfois l’impossible. Elle perpétue ce qui existe et conçoit ce qui n’existe pas. Comme « êtres de sensation », ses œuvres sont combinées de percepts et d’affects transposant dans divers matériaux de nouvelles possibilités d’existence. Chacune des pièces supporte l’exécution de leur fabrication.

Dans la présente exposition, les sculptures sont rythmées de coïncidences. Plusieurs des plus récentes productions d’Allard réfèrent formellement et matériellement à des instruments de musique. Les œuvres amalgamées ressemblent à une cornemuse (Muse, 2023), une lyre-trompette (Le rêve et l’argent, 2023) ou un lithopone (Coffre, 2023). Les instruments sont impraticables et prennent place dans l’espace en une symphonie de silences. Il n’y a aucun son, toutefois, une harmonie visuelle les unit. L’orchestre de ready-mades met en doute nos perceptions en donnant à voir de la musique, sans rien entendre. Nous pouvons imaginer des sonorités et des continuités pour les objets à cordes, à percussion ou à vent. Au-delà de ceux-ci, nous pouvons observer le diptyque photographique installé en surélévation dans la galerie ; une immense paire d’oreilles difforme qui exacerbe cette envie de déceler des sons (Morse, 2023). Pour nous, visiteuses et visiteurs, cette sensation d’attendre la musique est rémanente. Le titre de l’exposition est révélateur. Le point d’orgue est un signe en forme de point surmonté d’un demi-cercle, dont la fonction est de prolonger la durée de la figure de note ou de silence sur (ou sous) laquelle il est placé. Le point d’orgue produit donc une suspension indéterminée du tempo. Nous nous retrouvons dès lors ici à l’apogée d’un silence soutenu nous incitant à mieux scruter les subtilités plastiques d’un langage de formes improbables et, de surcroît, indescriptibles. Une boîte de minerais dé-reconstruite en la forme d’un point d’ironie, signe de ponctuation qui se place à la fin d’une phrase pour indiquer que celle-ci doit être prise au second degré, agit comme un dispositif pour des flûtes assemblées d’objets plus insolites les uns que les autres (Point d’ironie, 2023). Sur une roche, les gestes de l’artiste y sont visibles et viennent nous révéler l’importance de l’intuition dans la création (Filon, 2023). Une partition enluminée de poudre de bronze et de cuivre est gravée dans la pierre. Nous pouvons y remarquer divers symboles indiciels inhérents au corpus de Point d’ironie point d’orgue.

Les pièces positionnées au sol, rappelant des semelles de chaussures ou des empreintes de pieds, renvoient à des modèles de sandales mortuaires issues de traditions de vénération et de rites funéraires, presque incantatoires, d’autrefois. Des embouts d’orteils coulés en aluminium reposent sur des semelles de polystyrène trouvées dans les rues de Montréal (Zone, 2022). La tige entre le premier et le deuxième orteil prend la forme de la statuette Spirit of Ectasy, figure de proue des voitures Rolls Royce. Des traces de pieds découpées dans l’aluminium surplombent des plateformes suggérant des tuyaux d’orgue à travers lesquels est suspendue une clochette (Point d’orgue, 2023).

— Jean-Michel Quirion