Amanda Boulos
The Legend of the Palestinian Sasquatch
31.10–07.12.2024
Salle 2

Vernissage
Jeudi 31 octobre, 18h

Discussion
Jeudi 21 novembre, 20h30

Artiste
Amanda Boulos

« This is one more reason why fiction and research are equally necessary: they are all that remains to fill the silences handed on with the vignettes from one generation to the next. » 

— Alice Zeniter, The Art of Losing

 

Sasquatch vient du mot sásq’et en Halkomelem, langue de la nation Sts’ailes, signifiant homme poilu. Ce mot est aussi utilisé par les Canadien·nes, en langage familier, pour désigner ce que les États-Unien·es appellent Bigfoot — une créature mythique vivant dans les territoires montagneux de l’Amérique du Nord. Les termes qui servent le plus souvent à décrire le Sasquatch sont : grand, haut, géant, énorme, étrange, non identifié, humanoïde, simiesque et toujours poilu. Quoique son existence soit aujourd’hui contestée, le Sasquatch a toutefois suscité l’intérêt des colons et des peuples autochtones dans divers pays et territoires.

La mythologie peut être abordée de deux façons : l’une avec scepticisme en considérant les croyances de son propre univers, et l’autre avec altruisme et ouverture. Bien que la fascination de cette mythologie puisse exister dans les deux approches, l’intention qui les sous-tend — parfois subconsciente et personnelle, d’autres fois institutionnelle et violente — est déterminante. Amanda Boulos établit un parallèle entre la mythologie du Sasquatch, la quête pour le capturer, et la manière dont les pays hôtes peuvent mythologiser la vie des migrant·es, dont les Palestinien·es.

Avant de déménager au Canada, le grand-père maternel de Boulos était l’un des meilleurs boxeurs à mains nues de Beyrouth (Liban). Il participait à des compétitions et était une figure publique connue pour son stoïcisme et son intrépidité. Après son déménagement au Canada, ses mérites et ses accréditations n’ont pas été reçus avec autant de reconnaissance, comme c’est le cas pour plusieurs migrant·es et réfugié·es. D’une certaine manière, sa vie avant l’émigration — et par le fait même, une partie de sa personne — existe maintenant à travers cette légende. Elle se perpétue dans les histoires qui courent dans la famille, et à travers de multiples pays.

The Legend of the Palestinian Sasquatch permet à Boulos d’explorer les récits oraux de sa famille provenant de la Palestine, du Liban et du Canada, ainsi que ceux constituant sa propre vie. L’exposition comprend quatre grands dessins de Sasquatchs, pour lesquels plusieurs membres masculins de la famille de l’artiste ont posé. Les œuvres esquissées sont accompagnées d’une série de peintures de paysages provenant de différents endroits qu’elle a visités et dans lesquels elle a vécu : l’Île-du-Prince-Édouard, l’Alberta — où elle a commencé à réfléchir à ce corpus en 2019 — le Liban et la Palestine. Boulos complète ces paysages par des représentations d’espèces migratoires : le papillon Vulcain et le sterne arctique. C’est de cette façon qu’elle retrace les lieux où sa famille et elle ont déménagé, dans une tentative de découvrir qui ils étaient avant ces déplacements, avant leur mythologisation par l’État. 

Ces paysages sont illustrés d’un point de vue aérien, comme s’ils étaient capturés par des drones. L’intérêt de Boulos pour les terres et leur représentation l’amène à s’interroger sur ce que l’abstraction fait aux corps, notamment en relation avec les frappes aériennes Palestine et le Liban. Documenter un paysage d’en haut nécessite une distance mécanique et violente, comme celle qui se déploie entre un corps et celui d’un tireur. 

Les colons ont considéré les Sasquatchs comme des choses, et non des êtres. Les archives témoignent du nombre de personnes en ayant déjà aperçu — les lieux précis, à quoi ils ressemblaient. Un Sasquatch apparaît toujours en un clin d’œil, errant à l’horizon — notre regard scrute le paysage afin de l’identifier. À ce jour, plusieurs personnes restent sceptiques, insistant sur la monstruosité de cette créature aux traits humains. Au Canada, cet acte d’aliénation s’étend au-delà de la mythologie du Sasquatch, et rejoint l’expérience des corps marginalisés et migrants. 

Dans les cultures autochtones, le Sasquatch est perçu différemment — comme un être spirituel qui se déplace entre l’humain et la nature. Kelsey Charlie, chef de la nation Sts’ailes, note que le fait de voir un Sasquatch est considéré comme une bénédiction, un signe de chance. Son grand-père lui disait que sa rencontre était un gage de bonne fortune.

Dans l’espace du Centre CLARK, les Sasquatchs ne sont pas aperçus au détour d’un regard. Ils se tiennent droit, face à nous, avec leurs longs cils et leurs sourcils épais. La fierté et la certitude accompagnent ici la fascination. Les poils débordent, ornant des corps qui avaient autrefois été orientalisés et aliénés. Le rythme de leurs follicules pileux est constant. Si leur labeur est rasé, il persistera — refusant d’en faire autrement. 

 Sarah Sarofim