Élise Lafontaine
Dornach Pillars
06.04–06.05.2023
Salle 2

Vernissage
Jeudi 6 avril, 18h

Artiste
Élise Lafontaine

Les yeux grands ouverts, tête en bas, suspendue par un pied, une jambe repliée, la figure du pendu apparaît. Malgré l’ambiguïté de cet arcane majeur du tarot, son regard doux semble convier l’autodétermination, l’intuition et une grande concentration. Par le renversement, la carte invite au dépassement d’un héritage d’illusions et de projections, à la perte de ses propres repères en faveur d’un changement de perspective.

Cette impression de déboussolement semble être ce que recherche Élise Lafontaine lorsqu’elle s’introduit dans des lieux clos. Édifices reconnaissables et localisés, leur architecture représentative et fonctionnelle recouvre une réalité qui leur est propre. Ces lieux contiennent, confinent ou isolent. Centres carcéraux, hôpitaux psychiatriques, grottes ou monastères — ils détiennent pouvoir et savoir, systèmes de croyance, qu’ils soient étatiques, spirituels ou idéologiques. C’est le Goetheanum à Dornach, en Suisse, érigé pour incarner de manière totale la pensée anthroposophique, que visite Lafontaine en dernier.

La reconnaissance du lieu passe par l’identification et l’ancrage, dont l’issue serait une sorte de communion. Comme un pendule, l’artiste prend la mesure de l’espace architectural et vibratoire, s’immisce dans sa spatialité. Elle oscille ainsi entre perception et sensation jusqu’à abolir la distance qui les sépare : « l’étrange expérience sensorielle contribue à un sentiment de dissociation de la réalité et les mouvements de mes membres remplissent l’espace dans un rapport d’échelle disproportionné». Élise Lafontaine capte le système porteur aussi bien que l’infiltration de rayons lumineux. Son corps alors activé par le geste pictural se fait « commutateur synesthésique». Il devient le véhicule permettant la translation,  comme ce délicat transfert de reliques, dont la racine latine du terme translatio indique à la fois le transport et la traduction. À ces « restes » s’ajoutent une quantité d’informations métaphysiques et mystiques, invisibles et intangibles.

À partir de chaque site visité, des caractéristiques viennent compléter les peintures. Ici, courbes et colonnes structurent les toiles marouflées. Organes féminins, entrailles de béton – leur représentativité ne se laisse pourtant pas cloisonner dans un seul registre, ni dans leur affinité avec les travaux de pionnières de l’abstraction telle que Hilma af Klint (1862-1944) ou de l’art concret telle que Zilia Sánchez (1926). Les couches de peinture sablées laissent apparaître l’armature de silhouettes, comme filtrées par des lueurs bioluminescentes. Ce sont des présences. Telles les « femmes statues3 », les colonnes-peintures d’Élise Lafontaine indiquent l’entrée autant qu’elles redéfinissent l’espace d’exposition — autre lieu circonscrit — en lieu de passage.

Si les toiles fonctionnent comme un dispositif de monstration et d’orientation, Élise Lafontaine les renverse. Elle retourne ses peintures en cours de processus et se joue ainsi des directions, comme pour se distancer des lieux habités, ou bien s’affranchir de formes identifiables. Par là même sont posées les fondations mouvantes d’une architecture autre, née de la désorientation : «  La désorientation ouvre une différence, entre ici et là-bas, public et privé, profane et sacré, étrange et familier, etc...»

— Marie DuPasquier, commissaire de l’exposition

1 Élise Lafontaine, Archives, Centre d’art et de diffusion CLARK, 2023, p. 50, à propos de son expérience dans la Grotte de Lombrives, France.
2 Sara Petrucci, « Le corps et la géométrie. Visualisations et transformations » dans Nombres, rythmes, transformation. Dialogue contemporain avec Emma Kunz, Göttingen : Steidl, 2020, p.62, selon la formule d’Arnauld Pierre.
3  Agnès Varda, Les dites cariatides, film, 35mm, couleur, 13 min, 1984.
4  Marcella Schmidt di Friedberg, Geographies of disorientation, New York: Routledge, 2018, p.3, citant Bernard Stiegler.

L’artiste tient à remercier Marie DuPasquier, le Centre CLARK, l’Atelier CLARK, le Conseils des arts du Canada (CAC), Pangée, Dominique Rivard, Graphiscan, Rembourrage Flyss, Le Griffon des bois, Frédéric Chabot, Martin Schop et Anne-Renée Hotte, Antoine Thériault, Muriel Ahmarani Jaouich et Gilles Lafontaine.